Une relation empreinte d’amour entre deux adultes ressemble en bien des points à une amitié ou une relation professionnelle durable : notre bien-être dépend de ce que nous appelons parfois la « chimie » entre les partenaires. La différence, à la fois grande et importante, réside dans le fait que ce qui se passe entre les partenaires dans une relation empreinte d’amour les touche, très rapidement, beaucoup plus profondément que n’importe quelle autre relation. J’ai choisi le mot ”profondément” pour rendre le lecteur attentif au fait que les aspects constructifs de la relation, comme les destructifs, nous mettent en contact avec ce qu’il y a de plus fondamental dans notre existence et avec la personnalité que nous nous sommes construite durant notre enfance.
Toute relation reposant sur l’amour envers un autre être humain contribue en effet au développement de notre existence et de notre personnalité – et cela, toute la vie.
Cela commence avec nos parents et éventuellement nos frères et sœurs, et cela continue avec nos partenaires, nos enfants et, pour les plus chanceux, nos petits enfants.
Voilà pourquoi nous partageons toujours la responsabilité de la qualité de vie de notre partenaire. Non pas parce que c’est un engagement moral mais tout simplement parce que c’est une des conséquences du fait d’être aimé.
Nous avons – simplement par notre manière d’être au monde – accès à ce que l’autre a de plus fragile en lui, aussi bien protégé s’estime-t-il être.
Lorsqu’on vit avec quelqu’un, il nous est difficile de juger d’un point de vue existentiel si la relation est constructive ou destructive. Parfois, ce qui dans l’instant est vécu comme le plus douloureux s’avère être le plus constructif à long terme. Cela ne signifie pas que la relation ne puisse pas être à la fois constructive et qu’il s’en dégage un sentiment formidable. C’est tout à fait possible. Cela se produit par exemple lorsque nous nous sentons « vus », peut-être pour la première fois, par un autre être humain, lorsque nous nous sentons connectés l’un à l’autre dans une sorte d’harmonie intemporelle ou simplement lorsque nous observons qu’en mettant nos forces en commun nous parvenons exactement à nos fins. Le problème c’est que personne ne sait comment faire pour que de tels moments, heures ou jours puissent se produire. Il n’y a pas de recette du bonheur et on ne peut pas écrire d’article scientifique sur le sujet. On ne peut en faire que de la musique ou de la poésie.
Le sujet sur lequel on peut, par contre, disserter c’est comment appréhender, et y faire face le mieux possible, les conflits et problèmes qui sont latents à toute relation empreinte d’amour. Non pas pour éviter la douleur et la peine, mais pour en ressortir plus grand.
Dans notre famille d’origine, nous apprenons à réagir de certaines manières – aussi bien à ce qui se passe en nous que dans l’interaction avec les autres. Certaines d’entre elles sont de l’ordre de l’autodestruction. Cela signifie que nous faisons des choses qui vont à l’encontre de notre intérêt propre le plus profond et qui nous empêchent de nous épanouir.
Certaines de ces réactions nous ont été inculquées ou imposées par nos parents ou selon la culture dans laquelle nous avons grandi : avoir peur de notre propre sexualité, minimiser toute douleur intérieure, éviter tous les conflits par peur de la violence, prendre la responsabilité pour toute la famille parce que les parents en étaient incapables, etc.
Nous avons appris certaines d’entre elles de nous-mêmes parce que nous coopérions et avons fait tout notre possible pour nous adapter.
Le résultat de tout cela, c’est que nous avons appris que ce genre de réactions, qu’elles soient intériorisées ou extériorisées, conditionne l’amour des parents et l’acceptation de l’entourage. Et c’est pourquoi nous les transmettons dans la famille suivante : la nôtre. Elles deviennent tout simplement partie intégrante de notre manière d’aimer et de nous sentir dignes d’exister.
Et puis, quelque chose d’intéressant (et dérangeant !) se produit lorsque nos modes de fonctionnement auto-destructifs viennent, après quelques années, réactiver les souffrances de notre partenaire. Cela nous prend presque toujours par surprise. Nous avons oublié le prix qu’il nous a fallu nous-mêmes payé lorsque nous étions enfants. Nous avons effacé la douleur et considérons nos comportements comme étant une part importante de nous-mêmes. Ce qui en soi est vrai, compte tenu du fait que c’est comme cela que nous avons été durant de nombreuses années et que nous avions de bonnes raisons d’être ainsi.
Mais ce n’est pas entièrement vrai. Ces comportements étaient importants et nécessaires dans un contexte défini, mais ne le sont plus aujourd’hui. Notre « moi » n’est pas quelque chose de fixe ni de fini – il change sous l’influence de nos relations les plus importantes. Non pas comme un caméléon changerait de couleurs en fonction de l’environnement mais parce que chaque relation fait ressortir en nous différentes qualités.
Si je suis par exemple un homme typique, élevé comme la plupart des garçons, ma capacité à travailler et à subvenir aux besoins de ma famille jouera un rôle très important pour mon identité et mon sentiment d’être utile à ma famille et à la société. Après un certain temps, ma partenaire peut éprouver le sentiment, et m’en faire le reproche, que notre relation ou la relation aux enfants ne sont pas une priorité pour moi. Cela me trouble et me rend malheureux. Si elle n’arrive pas à concevoir que j’agis comme cela pour le bien de notre famille, comment puis-je alors lui faire comprendre qui je suis ?
Ma partenaire a, de son côté, été élevée selon les mêmes principes d’éducation que des générations de femmes avant elle, et elle a appris que la proximité et l’interaction avec les enfants sont ce qu’il y a de plus important. Elle exige en même temps énormément d’elle-même puisque, pour ne plus être dépendante de son mari et développer sa propre identité, elle souhaite étudier et trouver un travail. Elle considère alors qu’une double tâche lui incombe et se sent bien seule dans notre relation.
Dans une situation de conflit existentiel comme celle-ci, personne n’est coupable et il ne sert à rien de comparer les situations respectives des partenaires. Ce serait comparer des pommes et des poires. A la place, il nous faut réfléchir sur nous-mêmes – personnellement et individuellement – et nous engager dans les (nombreux) dialogues qui sont nécessaires et par lesquels il nous faut passer pour apercevoir les fruits qu’offre à récolter un changement dans nos automatismes de priorisation, à l’égard aussi bien de soi que de l’autre et du couple – dans l’ordre cité. Choisir des compromis rapides et faciles pour obtenir le calme et la tranquillité est illusoire.
Mais comment faire quand l’un d’entre nous a grandi dans une famille où l’on parlait ouvertement des choses alors que l’autre, dans la sienne, a grandi seul et en silence ? L’un vit inconsciemment selon la devise : « si on s’aime alors on parle ouvertement des choses. » Alors que la devise de l’autre est : « si on s’aime, il faut se débrouiller seul sans déranger l’autre avec ses problèmes. » La réponse est la même pour l’un comme pour l’autre : chacun doit prendre conscience et réaliser que ce qu’ils ont appris durant leur enfance ne constitue pas une base suffisante à une relation empreinte d’amour dans leur famille actuelle.
Personne n’est coupable – tous les deux sont responsables
Le développement personnel fait partie intégrante de la vie de couple, dans la mesure où l’équidignité en est une des composantes recherchées et où les rôles ne sont pas définis d’avance. Personne ne peut survivre, dans une relation empreinte d’amour, que ce soit à un partenaire ou à ses enfants, tout en gardant la même personnalité et la même identité que lorsqu’il ou elle avait 20 ans. On peut même dire que c’est le prix principal à payer sur la course de haies de l’amour.