Responsabilité ou obéissance ?

Quels objectifs avons-nous à l’esprit lorsque nous décidons de la manière qui nous convient d’éduquer nos enfants ? Le titre laisse à penser qu’il s’agit d’un choix fondamental, et ça l’est à bien des égards. Dans tous les cas, les enfants comme les parents se sentiront mal à l’aise et confus si ces derniers alternent entre ces deux objectifs.

Historiquement, l’obéissance a été l’objectif évident pour de nombreuses générations. La société était autoritaire et il en était de même pour la plupart des familles, des établissements d’enseignement et des lieux de travail. On s’en sortait tout simplement le mieux, socialement parlant, si on avait reçu une éducation qui nous avait appris à obéir à l’autorité. Toutefois, il est moins certain qu’on s’en soit sorti indemne, d’un point de vue psychologique et existentiel. Puis, la société a été soudainement frappée par la vague démocratique et anti-autoritaire. Les femmes se rebellèrent contre l’oppression et l’expansion des connaissances sur les enfants permit un changement de la vision qu’on avait d’eux et de l’enfance en général. Durant une vingtaine d’années, les discussions opposèrent les partisans de la « bonne vieille » éducation avec ses nombreuses règles, cadres stricts et punitions, et ceux d’une éducation plus libre et démocratique, jusqu’à ce que nous réalisions que ni l’une ni l’autre n’était appropriée. Si l’on se fie aux études qui ont été faites, ni l’éducation autoritaire ni l’éducation libertaire ne favorise l’établissement d’un environnement propice au développement de l’enfant. L’éducation « qui autorise » (1) est celle qui semble la plus favorable.

L’éducation « qui autorise » signifie que les parents sont des figures d’autorité pour leurs enfants sans pour autant être autoritaires.

Dans le cadre d’une telle approche éducative, les parents doivent reconnaitre qu’ils ont du pouvoir et affirmer leur leadership tout en veillant à préserver l’intégrité des enfants. La grande question reste de savoir comment faire pour réussir. Il y a bien heureusement beaucoup d’opinions différentes sur ce point et, à ce jour, également de nombreuses expériences de la part de familles diverses et nombreuses. Le fait est que ceux qui sont devenus parents voilà dix ans de cela, ceux qui le deviennent aujourd’hui et demain, sont les premiers parents dans l’histoire de l’humanité à s’essayer à une telle approche éducative des enfants et des jeunes. Il ne s’agit pas seulement d’éviter de faire ce que nos parents faisaient avec peu de réussite ou de trouver son propre « gourou » parmi les spécialistes et écrivains. Les enfants sont incroyablement différents les un des autres, il en va de même de leurs parents. Ce qui semble juste et fonctionne pour une famille ne l’est pas forcément automatiquement pour une autre. Même des expressions fondamentales comme « limites », « prendre soin », « cadre » et « attention » sont perçues différemment en fonction de notre propre expérience et de nos préférences. C’est comme ça et c’est tant mieux. L’alternative reste l’uniformité, et en conséquence, le risque de réduction à l’objet (2) et d’abus des personnes qui nous sont les plus chères au monde.

Ce n’est donc pas une bonne idée de partir à la recherche de « méthodes » d’éducation pour nos enfants. Il est, par contre, important de se faire une idée claire des valeurs qui nous semblent importantes :

Que dois-je croire ?
Qu’est-ce qui me semble bon pour les êtres humains ?
Parmi les valeurs qui m’ont été transmises par ma propre éducation, lesquelles se sont avérées utiles et constructives pour ma propre vie, et lesquelles dois-je écarter ?

Les enfants veulent par-dessus tout coopérer avec leurs parents et les rendre heureux à chaque instant. Lorsqu’ils ne coopèrent plus, cela peut dépendre de quatre facteurs différents :

– les parents ont perdu leur joie de vivre et s’épuisent à « trouver des problèmes » ;

– les enfants ne peuvent pas coopérer plus qu’ils le font et en sortir indemnes ;

– les enfants n’ont pas eu assez de temps pour apprendre à comprendre ce que leurs parents souhaitent ;

– les parents mettent eux même, et sans s’en rendre compte, des « bâtons dans les roues » de leurs enfants.

Nous préférons clairement que les enfants fassent à peu près ce que nous leur demandons de faire, mais devons-nous exiger d’eux l’obéissance ? Voulons-nous vraiment qu’ils fassent ce que nous leur demandons de faire, simplement parce que nous le leur demandons ? Et souhaitons-nous que leurs rapports à de futures figures d’autorité soient de cet ordre ?

Ou bien souhaitons-nous que nos enfants deviennent des personnes autonomes, ayant développé un sens critique, qui peuvent agir et choisir avec intégrité et qui ne se soumettent ni ne se laissent dominer ou séduire ?

Pendant longtemps, dans de nombreuses familles, les parents auraient aimé avoir l’obéissance de leurs enfants à la maison et que ceux-ci se montrent responsables à l’extérieur. C’est beaucoup trop contradictoire ; les enfants sont incapables de nous satisfaire des deux manières à la fois, même s’ils le voulaient vraiment.

Quand les enfants et les jeunes ne font pas, pendant une longue période, ce que nous voudrions qu’ils fassent, et qui est aussi dans leur propre intérêt – dormir, manger, apprendre, jouer, communiquer – c’est presque toujours dû à quelque chose qui se passe dans la famille et qui le leur rend impossible à faire. Les parents, sans en avoir l’intention, se sont trompés de voie et doivent trouver un moyen de revenir sur le bon chemin, afin que l’enfant retrouve sa joie de vivre. Ces choix sont, pour nous parents, impossibles à faire à l’avance – avant d’avoir eu des enfants. Il nous faut d’abord rencontrer nos enfants – et nous découvrir en tant que parents. Nous devons ensuite nous entrainer, tâtonner, avant de commencer à comprendre de quoi il s’agit. Les enfants n’ont aucun avantage à avoir des parents parfaits ou présomptueux. Ils seront le plus heureux avec des parents qui se montrent d’authentiques vivants, qui ne savent pas tout et qui cherchent perpétuellement à grandir.

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© Jesper Juul, Familylab International
Titre original suédois : Ansvar eller lydnad ?
Traduction : David Dutarte

(1) : Auktoritativ : en suédois, qui émane d’une figure d’autorité. Une personne faisant figure d’autorité ou qui autorise est quelqu’un qui sait ce qu’il veut, qui prend des décisions pour les bonnes raisons, et qui est ouvert et transparent dans ses décisions. Ici traduit dans le sens d’une autorité qui autorise. A distinguer d’une autorité autoritaire qui prend les décisions seules, exige l’obéissance et n’accepte aucune objection ni commentaire. Ndt.

(2) : Objektifiering : en suédois, rendre objet, réduire à l’état d’objet, chosification. Juul fait ici allusion au fait que l’usage de méthodes éducatives par les parents fait automatiquement de la relation parent-enfant une relation sujet-objet. Ndt.

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