Et quand arrive l’adolescence...

Il y a peu de période dans la vie d’un enfant qui soit aussi entourée de mythes et d’attitudes préconçues que l’adolescence (d’environ 12 ans jusqu’à environ 18 ans). On serait presque amené à croire qu’il s’agit d’une période de maladies au regard des termes utilisés pour la définir : rébellion, pré-adolescence, puberté, crise d’identité, et ainsi de suite. Comment survivre avec un adolescent à la maison ? est le titre d’un livre sur le sujet, représentatif de la plupart de ce qui se dit et s’écrit sur ces années importantes de la vie des enfants : ils décrivent les choses du point de vue des adultes, et pour la plupart d’entre elles, ce ne sont que projections directes (ce que les adultes imaginent et perçoivent est transféré sur les jeunes, comme si tout était vrai).

Lorsqu’en tant que parents, nous regardons nos enfants à cet âge, nous voyons avant tout le résultat de nos propres efforts au cours des années précédentes. Nous sommes confrontés à notre propre éducation, nos propres modèles et nos propres vertus et défauts, pour le meilleur et pour le pire. En somme, le résultat de la volonté des enfants à coopérer avec nous (nous copier, nous imiter) et des « agressions » plus ou moins conscientes de leur identité que chacun d’entre nous, partenaires, leur ont fait subir.

En tant que parents, nous éprouvons également une perte importante lorsque les enfants atteignent la puberté. Nous perdons en grande partie la proximité que nous avions jusqu’ici avec eux. Nous perdons leur admiration inconditionnelle. Nous perdons une partie de notre contrôle – et l’essentiel de notre pouvoir. Dans le même temps, il nous faut changer de rôle vis à vis des enfants. Alors que nous étions jusqu’à présent en pleine ligne de front, il nous faut maintenant battre en retraite pour tenir un rôle d’observation et de soutien. Les enfants n’ont plus d’utilité à nous avoir comme partenaire éternellement sur le qui-vive (cette place va progressivement être prise par leurs camarades et d’autres adultes) mais plutôt comme « partenaire d’entraînement » (sparring-partner) et filet de sécurité.

Pour de nombreux parents, il est extrêmement difficile de faire face à cette perte et ce changement de rôle. La douleur de la perte et la confusion liée au changement de rôle créent un état de tension permanent, une sorte « d’état d’alerte », où l’irritabilité prend largement le dessus sur l’attention et les soins. Il est donc nécessaire que les adultes discutent beaucoup durant ces années-là et s’entraident pour faire face à la perte et définir ensemble les contours de leur nouveau rôle parental. Nombreux sont les adultes qui discutent effectivement beaucoup durant cette période, mais malheureusement, ils parlent souvent de l’enfant au lieu de parler d’eux-mêmes et l’un à l’autre. Cela engendre un type de discussion sur les adolescents qui ressemble pour beaucoup à une session de l’état-major général juste avant que l’ennemi envahisse le pays.

La plupart des parents ne se préoccupent pas non plus de voir ce à quoi leur approche éducative et leur coexistence avec l’enfant ont conduit. Ils sont donc susceptibles soit de faire porter à l’enfant toute la responsabilité, soit de s’accabler de culpabilité. Mais ils ne peuvent échapper à cela ! Nous avons fait du mieux que nous pouvions et nous devons en assumer la responsabilité. Et faire encore, dans un élan obsessionnel, une dernière tentative éducative n’apportera rien. Lorsque les enfants ont atteint cet âge, il est trop tard pour les éduquer ou les transformer. Au contraire, il nous est encore possible de changer, d’apprendre de nouvelles choses et de laisser les enfants inspirer nos vies et nos relations.

Assumer soi-même sa responsabilité

La « responsabilité » est un bon exemple de problème. La plupart des parents souhaitent avoir des adolescents qui puissent assumer leur propre responsabilité et la responsabilité de leur vie au quotidien. Cela signifie par exemple :

– qu’ils puissent se lever seul à temps pour être à l’heure à l’école ;
– qu’ils soient eux-mêmes responsables de faire leurs devoirs ;
– qu’ils soient eux-mêmes responsables de leurs vêtements ;
– qu’ils puissent eux-mêmes prendre la responsabilité de rentrer à la maison pour rattraper le sommeil perdu lorsqu’ils sont sortis ;
– qu’ils puissent eux-mêmes prendre la responsabilité des accords qu’ils passent en termes de jobs d’été, d’activités sportives, etc ;
– qu’ils puissent eux-mêmes prendre la responsabilité de leurs finances et gérer leur argent de poche ;
– qu’ils soient eux-mêmes tenus responsables de la propreté de leur chambre ;
– et qu’ils puissent choisir de manière responsable parmi leurs camarades, afin de ne pas s’attirer d’ennuis.

Il est important ici de rappeler que le « eux-mêmes » ne signifie pas tout seul ! Les parents doivent être actifs dans leur rôle de « sparring partners« , mais ils doivent laisser la responsabilité aux jeunes.

Tout cela peut paraître dans l’ensemble raisonnable et sensé, et c’est ce qu’on peut raisonnablement attendre de la part d’enfants de cet âge. Mais comment se fait-il que c’est précisément ce qui donne lieu à tant de conflits dans de si nombreuses familles ? Et bien, la raison en est très simple et évidente. La plupart des parents essaient d’apprendre à leurs enfants à assumer leur responsabilité en la prenant en charge jusqu’à ce qu’ils aient 13-14 ans, puis presque brutalement, ils la laissent aux enfants. Et les enfants échouent forcément.Il faut en réalité environ 10 ans (au minimum) pour apprendre à assumer sa propre responsabilité en ce qui concerne les questions mentionnées ici. La deuxième raison, qui est de plus en plus courante, est que les parents ont maintenu un service de haut niveau et contribué ainsi à créer une dépendance continue qui est préjudiciable au développement des jeunes, mais qui peut être réconfortante pour les parents.

Contrôle interne ou externe ?

Avant de continuer, arrêtons-nous un instant sur le concept de responsabilité. Que voulons-nous véritablement dire par là ? Est-ce que cela signifie que nous voudrions que les enfants soient responsables d’eux-mêmes ou que nous souhaiterions qu’ils puissent rendre des comptes à d’autres (l’école, la société, nous) ?

Être responsable de soi-même, c’est agir avec intégrité, assumer la responsabilité d’agir en accord avec soi-même et assumer les conséquences de ses actions. On appelle parfois cela être dirigé de l’intérieur par opposition à être dirigé de l’extérieur. Nous sommes dirigés de l’extérieur lorsque nous sommes responsables vis à vis des exigences externes, lorsque nous respectons des règles, normes et autres demandes imposées par d’autres personnes, ou tout simplement les « c’est comme ça qu’on fait ».

Fondamentalement, la plupart des parents souhaitent probablement que leurs enfants grandissent de manière à pouvoir agir avec intégrité. Malheureusement, il arrive souvent en cours de route qu’ils changent leur désir de voir leur enfant être fort intérieurement et le remplacent par des exigences externes.

En quoi cela est-il alors honteux ? Il est certainement important pour les enfants d’apprendre à se conformer aux exigences de la société, de l’école, du monde du travail (et à celles des parents (!)). Oui, c’est d’une certaine manière évident, et peut-être est-ce pour cela que nous, êtres humains si sagement disposés, agissons en tant que citoyen de manière la plus constructive lorsque nous avons appris à agir avec intégrité, lorsque nous agissons réellement en suivant notre force intérieure. On peut dire cela aussi d’une autre façon : ce n’est que lorsque nous avons appris à assumer notre propre responsabilité que nous pouvons aussi être responsables envers les autres.

Nombreux sont les parents qui expliquent tout simplement leur tendance à prendre la responsabilité de leurs enfants par une pression externe. Et cette pression peut même être très grande, provenant par exemple de l’école. Pour une raison quelconque, la majorité des enseignants estiment que c’est de la responsabilité des parents que les enfants fassent leurs devoirs, et nombreux sont les parents qui endossent malheureusement cette responsabilité. De là, on en vient alors facilement à veiller à ce que ils se lèvent à l’heure le matin, qu’ils n’oublient pas leurs vêtements de sport, qu’ils préparent leurs sacs d’école correctement, qu’ils aillent se coucher, qu’ils rangent leurs chambres, etc.

Le test ultime

Qu’advient-il si vous laissez par exemple la responsabilité des devoirs à un enfant ? L’enfant peut-il assumer cette responsabilité ? Oui, certainement. Durant les deux ou trois premières années, il faut certainement un peu d’amour et d’intérêt et une aide amicale des parents. (Et par là, je ne veux pas dire la voix contrôleuse et inquisitrice qui dit automatiquement « Est-ce que tu as des devoirs à faire aujourd’hui ? », « As-tu fait tes devoirs ? », « Tu n’as pas de devoirs à faire ! Est-ce que c’est bien vrai ? »

Le problème n’est pas de savoir si l’enfant peut assumer la responsabilité mais de savoir si les parents peuvent l’aider à le faire. Et si vous vous entendez poser tous les jours ces questions à votre enfant – de manière automatique – alors vous êtes sur la mauvaise pente. Mais, même si vous avez pu tenir jusqu’à maintenant, arrive le jour où, test ultime, votre enfant de 10 ans, plein d’audace, vous dit : « Oui, j’ai beaucoup à faire pour demain, mais j’ai prévu d’aller jouer au football à la place. » Si nous arrivons à garder la face dans un tel moment, nous pouvons nous féliciter non seulement d’avoir un enfant qui peut assumer sa propre responsabilité, mais aussi un enfant qui a tellement confiance en nous qu’il n’hésite pas à dire la vérité. Pour la plupart d’entre nous, c’est cependant difficile. Nous endossons généralement la responsabilité des devoirs d’école et finissons par critiquer l’enfant lorsqu’il tente d’agir avec intégrité. Nous recevrons, lorsqu’ils auront alors 14 ou 15 ans, notre châtiment mérité qui sera d’ampleur proportionnelle à la façon à plus ou moins court terme dont nous avons réagi durant les 12 premières années.

Les enfants continueront certainement à essayer d’agir avec intégrité, mais pour éviter le blâme et la critique, ils développeront les talents qui leur permettent de prendre la vérité à la légère. Ils perdront lentement leur précieuse intégrité car nous avons oublié dans notre élan de l’apprécier, leur ayant proféré pendant toutes ces années qu’il est plus important d’obéir que de s’écouter soi-même. Nous ne le pensions pas réellement peut-être, mais nous l’avons dit !

Lorsque le mal est fait

Que faire si vous avez déjà échoué et que vous avez devant vous un adolescent dépravé que vous devez appeler cinq fois chaque matin pour se lever ? Ou qui ne range jamais sa chambre ? Ou qui ment quant à ses devoirs ? Est-il trop tard ?

Non, il n’est pas trop tard, mais c’est s’y prendre à la dernière minute. Cela signifie que la guérison sera difficile – aussi pour les parents. Pour commencer, les parents doivent prendre la responsabilité de leurs actes, c’est-à-dire de leurs propres erreurs et mettre cartes sur table :

« Maintenant, écoute-nous, mon gars. Nous ne sommes pas satisfaits de la façon dont tu assumes ta propre responsabilité et celle de ta vie. Nous t’avons souvent grondé et blâmé à ce sujet, et nous aimerions présenter nos excuses pour cela. Nous en avons parlé et nous avons réalisé que c’est nous qui avons endossé ces responsabilités ces six dernières années en contrôlant systématiquement tes affaires et ta vie. Nous avons décidé de cesser. Nous sommes conscients que cela va prendre un certain temps à améliorer la situation, mais nous estimons que tu es capable de le faire. Cela va être plus difficile pour nous. Nous sommes tellement habitués à intervenir dans tes affaires et prendre la responsabilité de tout, que cela prendra probablement un certain temps avant que nous puissions t’aider – et nous espérons que tu nous supporteras suffisamment longtemps. Cela sera bien sûr particulièrement difficile pour nous quand tu vas faire des choses que nous n’aimons pas, mais tu devras nous rappeler que c’est ta responsabilité. »

Chacun de vous, père et mère, devez bien sûr trouver les mots qui correspondent à votre propre situation, mais en aucun cas il ne doit y avoir de mots qui laisseraient croire l’enfant fautif. Les parents doivent assumer pleinement leurs responsabilités. C’est la chance remarquable que nous avons toute la vie de pouvoir influencer nos enfants : en étant pour eux de bons exemples.

Retourner à la liste des articles

© Jesper Juul, Familylab International
Titre original danois : Teenagefamilien
Traduction : David Dutarte