Les discussions qui touchent au « Oui » et au « Non » nous amènent naturellement à nous poser la question : comment poser des limites aux enfants ? Tant que les limites des adultes ne sont ni abusives ni désespérément injustes, il n’y a fondamentalement rien que les enfants ne souhaitent faire autant que coopérer avec les adultes.
De nombreux parents (ou pédagogues) éprouvent pourtant des difficultés à obtenir des enfants qu’ils acceptent leurs limites, et il y a à cela quelques explications simples et fort classiques sur lesquelles je vais m’attarder un peu plus loin.
Pour que les limites d’un adulte soient prises en considération et respectées, il est nécessaire :
- que l’adulte assume sa responsabilité ;
- que l’adulte soit personnel ;
- que l’adulte ne critique pas.
Lorsque ces trois principes sont suivis, bon nombre des problèmes auxquels sont confrontés les parents pour « poser des limites » disparaissent. Et, comme récompense immédiate et bien méritée, les parents observeront simultanément une prise de responsabilité bien plus grande de la part de leur enfant, ainsi qu’une plus grande réciprocité dans la relation.
Il semble pourtant que la manière la plus commune à laquelle nous, parents, nous limitions pour nous faire respecter, consiste en un ensemble de réactions ou d’expressions plus ou moins automatiques ou habituelles.
Dans nos tentatives de poser des limites, il est par exemple très courant que nous exprimions simultanément une critique directe ou indirecte de l’enfant :
« Ne joue pas avec le piano. Tu devrais le savoir à ton âge ! »
ou plus directement :
« Ne joue pas avec le piano. Tu nous casses les oreilles ! »
Lorsque nous formulons, de cette manière, une critique plus ou moins directe, après avoir posé une limite, il ne faut pas nous attendre à être respecté. Et il y a plusieurs bonnes raisons à cela.
Tout d’abord, nous leur envoyons de bonne guerre un double message. Dans la première phrase (« Ne joue pas avec le piano. »), le message est : « Voilà ma limite et je m’attends à ce que tu la respectes. » La phrase suivante (« Tu devrais le savoir à ton âge ! » ou « Tu nous casses les oreilles ! ») est l’expression d’un dénigrement et d’un manque de respect pour l’enfant.
Ce manque de respect pour l’enfant et ce manque de confiance en sa capacité à réagir de manières positives vont inévitablement nous revenir sous la forme d’un manque de respect pour nos propres limites.
– « Oui, diriez-vous peut-être, mais puisqu’il ne fait jamais ce qu’on lui demande, je suppose qu’on est en droit de s’attendre à quelque chose de négatif ?
– « Non, bien au contraire ! Voilà d’ailleurs une raison de plus pour prendre du recul et reprendre autrement. »
Ce manque de respect pour les limites d’un autre, les enfants n’en sont jamais à l’origine. Ce sont toujours les adultes qui ont commencé.
En outre, il y a dans cette histoire un problème supplémentaire. La critique amènera automatiquement l’enfant à se sentir mal. Or plus vous vous sentez mal, plus il devient difficile de faire les choses correctement. Par conséquent, le « Put…, tu fais ch… ! » bien connu est également à bannir.
POURQUOI ? PARCE QUE !
Ces dernières années, on a vu apparaître une pratique légèrement différente. Inspirés du monde de l’éducation, de nombreux parents ont pris l’habitude de toujours accompagner l’expression de leurs limites par des explications. C’est souvent une bien mauvaise idée.
Tout d’abord, il se produit la même chose que lorsque cette expression s’accompagne d’une critique plus ou moins directe, à savoir que l’enfant se concentre sur l’explication, cherche de son mieux à la comprendre et à la prendre en considération, voire la remet en question. La limite exprimée devient secondaire, et donc – selon toute vraisemblance – oubliée.
Cela ne veut pas dire que les parents doivent se limiter à des injonctions ou interdictions. Mais, de manière générale, il vous suffit de donner aux enfants une explication quand ils en font eux-mêmes la demande. Et qu’ils en fassent la demande d’une manière où vous sentez qu’avoir une explication les intéresse vraiment.
Il ne s’agit pas ici des enfants qui disent automatiquement « pourquoi ? » chaque fois que vous les interpellez, ni des enfants qui, parce qu’ils sont tellement habitués à subir la violence des adultes, demandent constamment des explications dont ils se serviront plus tard pour répondre à leur tour aux adultes. Il s’agit ici d’être pris au sérieux.
Or si vous voulez apprendre à votre enfant à prendre vos limites et celles d’autres adultes au sérieux, il vous faut commencer par prendre celles de votre enfant au sérieux.
JE-TU-ON
Les exemples ci-dessus illustrent des manières inadéquates de fixer des limites. Il est temps maintenant de voir comment le faire de manière plus appropriée.
Comme indiqué, il importe avant tout d’en assumer la responsabilité. Cela signifie, par exemple, dire : « Je ne veux pas que tu joues avec le piano. » plutôt que : « Ne joue pas avec le piano ! » ou « On ne joue pas avec le piano. »
Les enfants sont généralement disposés à répondre aux besoins subjectifs de leurs parents, mais ils tendront tout aussi naturellement que les adultes à questionner les limites soi-disant objectives. Les enfants veulent bien respecter les gens mais pas nécessairement les choses ou les règles.
M’exprimer personnellement est une manière de prendre ma responsabilité. Il s’agit de dire : « Je veux » ou « Je ne veux pas » plutôt que « Tu dois », « Tu ne dois pas. », « Il faut. » ou « Il ne faut pas. »
En prenant la responsabilité de mes valeurs, de mes principes et de mes limites d’une manière personnelle, je donne avant tout à mon enfant l’occasion d’apprendre comment assumer sa propre responsabilité. Ce qui signifie, entre autres, respecter ses propres limites et celles des autres.
Si je prends la responsabilité de mes limites, il devient possible pour l’enfant de les prendre au sérieux. Mais si j’en fais porter la responsabilité à l’enfant, il lui sera paradoxalement impossible de les respecter.
C’est quelque chose que les adultes connaissent bien, par exemple, sur leur lieu de travail. Aucun d’entre nous n’accepterait une responsabilité qui nous serait, premièrement, jetée sur les épaules, et, deuxièmement, dont personne ne s’attendrait à ce qu’on en soit à la hauteur.
Les limites des adultes peuvent être fondées sur des valeurs et des principes de vie fondamentaux, et elles peuvent aussi provenir de situations d’urgence. Du point de vue des enfants, certaines de ces limites peuvent paraître déraisonnables voire impossibles à vivre. Mais ces conflits ne peuvent être résolus par la force ou par la démocratie. Si un parent a une certaine limite qui peut, par exemple, être qu’il ne peut pas supporter de voir les animaux en captivité, et que, de l’autre côté, l’enfant aimerait avoir un poussin, alors c’est le travail de l’adulte de s’assurer que les points de vues des deux parties soient pris au sérieux. L’adulte ne doit pas se sentir mal parce qu’il a exprimé ce point de vue là. Il doit aussi négocier de façon à ce que l’enfant ne se sente, lui non plus, mal parce qu’il a en tête l’idée d’avoir un poussin.
Le résultat de la discussion n’a qu’une moindre importance pour le bien-être de la famille, mais il est, par contre, extrêmement important que les échanges sur les limites et envies des uns et des autres soient menés de façon à ce que personne ne finisse par se sentir mauvais, stupide ou déraisonnable.
Cela vaut dans la famille comme d’ailleurs dans le vaste monde : les limites doivent être posées et modifiées sur la base d’un dialogue empreint d’équidignité. L’utilisation de la force « militaire » ou du contrôle « policier » créent de nouveaux conflits bien plus menaçants pour l’intégrité.
© Jesper Juul, Familylab International
Titre original danois : Her går min grænse
Traduction : David Dutarte