Je ne sais pas vraiment si la jalousie entre frères et sœurs existe telle que nous le pensons habituellement, mais je sais que le terme est souvent utilisé par les adultes de manière qui porte préjudice à tous.
Lorsque la sœur aînée demande : « Pourquoi c’est toujours le plus petit qui a toujours tout en premier ? » et, ce qui n’est pas anodin, le dit souvent tout en poussant ou pinçant discrètement son petit frère, est-ce parce qu’elle est jalouse ?
Non, ce n’est pas de la jalousie. De cette manière, elle essaie de dire à ses parents :
« Il y a quelque chose dont j’ai besoin de votre part. Je ne suis pas frustrée parce que mon petit frère, que j’aime beaucoup, en reçoit trop ou toujours en premier. Je suis frustrée parce qu’il y a quelque chose qui me manque, ce n’est pas par rapport à ce que lui obtient. Mais je ne sais pas l’exprimer autrement, et j’espère bien que vous êtes suffisamment adulte pour voir au delà de ma frustration et considérer mes besoins. »
La jalousie, comme lorsque celui/celle que vous aimez tombe amoureux de quelqu’un d’autre, est un cocktail de tristesse, colère et anxiété ; sentiments qui sont tous pertinents au regard de cette situation et doivent être exprimés et considérés. Le problème lorsqu’on catégorise les conflits entre enfants comme étant de la jalousie – « Tu es tout simplement jaloux(se) ! » – c’est que le conflit ne sera jamais appréhendé de façon appropriée et ne sera non plus réglé. Sa vraie nature reste cachée. C’est souvent un moyen d’ignorer l’enfant, d’une manière qui dit en fait :
« Tu as des sentiments stupides et mauvais pour lesquels il n’est pas la peine de perdre du temps. »
Important ou embêtant
Ce traitement superficiel du dilemme des enfants est encore pire quand on parle de la soi-disant jalousie des enfants par rapport à leurs parents ou à un nouveau-né. Quand par exemple une mère (ou un père) seule au foyer est tombée amoureuse et a invité son nouveau petit-ami à la maison, il s’ensuit souvent le drame silencieux suivant :
L’adulte prépare soigneusement la mise au lit, fait attentivement la lecture d’une histoire un peu plus longue qu’à l’habitude vers 20h, et quand l’enfant dort vers 20h30, elle pousse un soupir de soulagement et se prépare à accueillir son nouvel ami.
Une demi-heure environ après son arrivée, l’enfant se réveille et va au salon. Les adultes sont l’un comme l’autre désemparés, ils veulent être seuls, et la mère va donc essayer de remettre l’enfant au lit avec un « Maintenant, tu dois dormir. Il est tard ! » Mais l’enfant ne veut pas dormir et la frustration des adultes ne cesse d’augmenter. « Il est jaloux ! », disent-ils.
Non, il n’est pas jaloux. Il est agité. Il est troublé parce que sa mère toute la journée a été tendue et pleine d’attentes – et c’est contagieux. Il est troublé parce que sa mère est évidemment sur le point de se lier à un autre, alors il se demande :
« Est-ce que notre famille va maintenant changer de nouveau, est-ce que ma mère tient toujours à moi aussi, ma mère est nerveuse et effrayée – je me demande bien pourquoi ? »
N’importe qui peut vérifier cela par soi-même. Lorsque l’enfant se réveille et s’invite dans le salon, on peut l’accueillir par exemple avec un :
« Ah, quelle bonne surprise, tu t’es réveillé ! Viens dire bonjour à mon ami Eric, qui, va probablement venir nous rendre visite régulièrement. »
Prenez votre enfant sur les genoux et continuer de parler avec votre petit-ami. Dans un court laps de temps, l’enfant demandera à être mis au lit à nouveau – peut-être avec un verre de lait ou quelque chose à manger.
Cette façon d’aborder la situation transmet à l’enfant un message important :
« Tu restes une part importante de ma vie et je t’aime encore. Tu tiens également une place significative dans ma vie, aussi je voudrais te faire partager ma joie et la présence de mon petit-ami. »
Ce qui est tout le contraire du message contenu dans la description précédente, qui est :
« Tu me déranges et m’ennuies, allez, file au lit ! »
Ce message renforce naturellement l’anxiété de l’enfant, c’est le début d’un cercle vicieux qui peut très facilement conduire à des sentiments négatifs envers le nouvel adulte, et peut aller jusqu’à ce que l’enfant lui-même culpabilise d’être celui qui a détruit la relation.
Être envieux
L’envie est un sentiment très différent de la jalousie, et les enfants ont souvent de bonnes raisons d’être envieux les uns des autres (comme les adultes d’ailleurs).
– Je voudrais avoir ton ours en peluche.
– Je voudrais pouvoir aller tout seul au terrain de jeu, comme toi.
– Je voudrais être assez petit pour qu’on me pousse dans la poussette comme toi.
– Ton vélo est beaucoup mieux que le mien. Si seulement je pouvais l’avoir.
Être envieux est souvent faussement considéré comme étant de la jalousie, mais c’est une réaction tout aussi saine et naturelle que commune. Le problème, entre autres choses, c’est que les enfants n’ont pas les mots justes pour exprimer ce qu’ils veulent réellement. Ils disent :
« Ton ours est bête, il est pas beau ! »
ou bien
« Donne-le-moi, il est à moi ! »
jusqu’à ce qu’ils apprennent à dire :
« C’est un très joli ours en peluche que tu as. Est-ce que je peux te l’emprunter ?»
Qu’en est-il de la justice ?
La notion de justice tient une place importante dans de nombreuses familles. Beaucoup de parents sont fiers d’être justes envers leurs enfants, ce qui signifie surtout qu’ils ne font pas de distinction entre eux. Cette conception particulière de la justice contribue malheureusement fortement à cette prétendue jalousie entre frères et sœurs.
Tous les gens sont différents et ont des besoins différents à des moments différents. C’est particulièrement vrai pour des enfants d’âges et à des stades de développement variés. Si vous souhaitez donc traiter vos enfants de façon équitable, il faut les traiter différemment. Rappelez-vous que l’alternative à la justice n’est pas l’injustice – c’est juste le contraire. Les enfants peuvent facilement gérer le fait qu’il y ait des différences. C’est seulement quand ils ont vécu quelques années dans une famille où la soit-disant justice domine qu’ils commencent à coopérer (imiter) et exige à leur tour de la justice, mais une justice au millimètre. Une autre raison peut être qu’ils ont effectivement été très injustement traités à une ou plusieurs reprises. Si vous êtes donc tombés dans le cercle vicieux qu’est celui de la justice, il va sans doute vous falloir faire un travail difficile pour en sortir, mais cela sera payant.
Les raisons qui nous poussent à être justes en tant que parents varient énormément. Certains d’entre nous avons enduré durant l’enfance de grandes injustices et nous en sommes ensuite venus à la conclusion que la justice devait être la réponse. D’autres sont très préoccupés par la justice dans un sens plus politique mais ignorent que la politique et la psychologie sont souvent incompatibles. Et d’autres encore prétextent de bonnes raisons.
Toutes ces raisons proviennent généralement d’un sentiment fort qu’il est important de protéger les faibles. C’est un argument tout à fait valable mais qui, cependant et très souvent, signifie simplement que les faibles doivent avoir plus que les forts ou que les petits doivent avoir plus que les grands. Quoiqu’il en soit, cela veut dire qu’une différence doit être faite si on tient à être vraiment juste – et pas seulement en apparence. Concrètement, la sœur aînée de quatre ans sera par exemple triste de constater qu’aucun cadeau ne lui est offert à l’occasion des 2 ans du petit frère, mais c’est important pour son développement en tant qu’être humain qu’elle puisse être autorisée à être bouleversée à ce sujet jusqu’à ce qu’elle puisse (assez rapidement) passer outre. À long terme, elle ne gagne rien à apprendre que vous avez acheté des choses ou satisfait à ses demandes à chaque fois qu’elle était frustrée ou contrariée.
Cela va aussi pour des choses concrètes, comme par exemple les bonbons. Il est plus approprié que les enfants, durant les six ou sept premières années de leur vie, apprennent à se demander s’ils veulent des bonbons ou s’ils préféreraient utiliser l’argent pour autre chose, plutôt que de leur apprendre à demander et s’en mettre plein la tête, juste parce que d’autres le font. Le plus juste est d’être aussi conscient que possible des différents besoins de ses enfants et du mieux que l’on peut leur donner ce dont ils manquent ou ont réellement besoin. Il ne s’agit pas de satisfaire à n’importe quel prix leurs désirs plus ou moins passagers.
Devenir l’aîné
La jalousie entre frères et sœurs existe et peut être réellement fondée. C’est particulièrement vrai si le père ou la mère ou les deux tiennent effectivement plus à un enfant qu’à un autre. C’est ce qui arrive parfois dans les familles classiques, mais c’est évidemment beaucoup plus fréquent dans les familles recomposées où l’amour réciproque ne va pas de soi.
Quand Hugo, trois ans, devient grand-frère, il se trouve confronté à une perte certaine. Il perd tout simplement cinquante pour cent de tout ce qu’il a pris l’habitude d’avoir pour lui tout seul. Il est alors difficile d’être soi-même en deuil au sein d’une famille qui exulte de joie par rapport au nouveau-né. Hugo a donc besoin que les adultes reconnaissent de temps à autre ses sentiments mitigés. Cela peut tout simplement se faire en le prenant sur les genoux et en lui disant :
« C’est formidable de voir comment tu es gentil avec ta petite sœur, mais ça doit aussi être ennuyeux pour toi de voir qu’elle prend tout à coup autant de place. »
Avec une telle remarque, Hugo peut tranquillement gérer lui-même sa perte et ses sentiments mitigés ne se transformeront pas en agressivité envers sa petite sœur.